En 1969, Hitchcock, jamais à une provocation près, a choisi une vespasienne pour une interview télévisée. Inventés en 1834 par le préfet Rambuteau, le "Monsieur propre" de Paris, ces urinoirs publics, ont été les premiers lieux de liberté pour les homosexuels, abritant aussi l'échange de messages secrets de la Résistance.
Après Berlin et avant New York, une exposition insolite accompagnée d'un beau livre, rend leur majesté à ces précieux édicules, surnommés "tasses" en argot parisien ou "pissotières" en langage courant, installés sur les trottoirs pour répondre aux besoins naturels des hommes, et qui ont disparu en 1984.
"Il ne faut pas mettre cette petite histoire humaine sous le tapis", confie le photographe et écrivain Marc Martin, spécialisé dans les "fantômes urbains" et qui a mené une enquête de dix ans sur le sujet, rencontrant sociologues et historiens, et ressuscitant au passage des écrits de Verlaine, Rimbaud, Céline et Musset. "J'ai proposé l'exposition à plusieurs musées parisiens qui, malgré leur intérêt, ont décliné", ajoute-t-il.
A Berlin, le Schwules Museum, musée gay et lesbien, lui a ouvert les portes, tout comme son équivalent à New York, le Leslie-Lohman Museum, à partir de septembre 2020.
Une affaire de mecs
Inaugurée mardi au Point éphémère à Paris à l'occasion de la Journée mondiale des Toilettes, l'exposition "Les Tasses: toilettes publiques, affaires privées" retrace la petite et grande histoire des urinoirs publics à travers de nombreuses photographies et documents.
"Pisser en ville au XIXème siècle resta longtemps une affaire de mecs, ce qui nous renvoie aux prémices du féminisme et au questionnement sur les genres", souligne Marc Martin. "Au-delà de l'objectif hygiéniste, les vespasiennes, du nom de l'empereur romain Vespasien qui taxa l'urine, ont répondu aussi à un besoin social. Des hommes en quête d'identité y ont posé les premières pierres du vivre-ensemble. Les 'tasses' sont rapidement devenues des lieux de rencontres impossibles ailleurs. Des générations d'hommes s'y sont émancipés", ajoute Marc Martin.
"Près de 4.000 vespasiennes ont été dénombrées en France, dont 2.000 à Paris. Les 'tasses' ont été surtout des lieux de brassage social", observe-t-il. "En 1834, les premiers urinoirs installés dans des colonnes Morris ne proposaient qu'une place. Comme des files d'attente se formaient, les vespasiennes à plusieurs places les ont vite remplacées derrière des tôles ajourées. Plus c'était confiné, plus de choses s'y passaient...".
Désormais, elles se vendent de temps en temps aux enchères: à Paris il n'y en a qu'une encore en activité, 75, Boulevard Arago, devant la prison de la Santé, dans le quatorzième arrondissement.
L'exposition permet ainsi de découvrir les témoignages en vidéo de plusieurs hommes à visage découvert ayant fréquenté les anciennes "pissotières". L'un d'eux, Hugues, 83 ans, raconte qu'il y a rencontré l'homme de sa vie.
Endroits libertaires
"Je me suis fait tripoter par des danseurs, des couturiers, des acteurs, des chanteurs... Rencontrer quelqu'un dans une tasse puante et se retrouver dans son appartement somptueux quelques minutes plus tard, c'était une belle aventure!", confie pour sa part Jean-Pierre, 73 ans.
"J'aimerais qu'on reconnaisse à ces hommes un certain courage. Je voudrais rendre à ces endroits libertaires, qui ont abrité tant de frissons, leur part troublante de sensualité", explique Marc Martin. "N'ont-ils pas osé braver les interdits ? N'ont-ils pas, pendant plus d'un siècle, osé affronter les plaisirs alors défendus ?".
Les vespasiennes ont été aussi des espaces de visibilité politique et commerciale avec des publicités, accueillant notamment les premières campagnes de prévention et de sensibilisation aux maladies vénériennes.
Pendant l'affaire Dreyfus, les comploteurs répendaient leurs fausses informations dans les urinoirs publics, remplacés dans les années 80 par les "Sanisettes" monoplaces, répondant aux nouvelles normes d'hygiène. L'exposition n'élude rien. Pas même les "soupeurs" - attirés par l'urine d'autres hommes -, una pratique sexuelle très marginale, assure Marc Martin. "Ce n'est pas une légende urbaine, mais ça a été gonflé pour entâcher un peu plus l'image des vespasiennes et les faire disparaître".
Rédaction avec AFP
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